Les boues de station d'épuration
Les boues de stations d'épuration (STEP) ne renferment pas seulement des macro-éléments (azote, phosphore) et de la matière organique intéressants en fertilisation; ils contiennent également 2 sortes d'éléments indésirables, car potentiellement dangereux pour l'homme, les animaux ou l'environnement : ce sont les agents pathogènes et les contaminants chimiques.
1. Les agents vivants pathogènes
Dans les eaux usées, et donc les boues de station d'épuration, on trouve une flore microbienne abondante, banale et sans danger, mais on rencontre aussi des agents pathogènes, éliminés par des organismes vivants, malades ou porteurs inapparents, ou bien présents dans l'environnement.
Ces bactéries, virus, parasites... dangereux sont présents en faible concentration, mais celle-ci est très variable selon les conditions de collecte et de traitement.
Lorsque le réseau est séparatif, la principale source de ces microorganismes pathogènes est représentée par l'élimination des matières fécales humaines; mais lorsque le réseau est unitaire, la contamination peut également provenir du lessivage de déjections animales variées (animaux de compagnie, oiseaux, rongeurs...). Par ailleurs, la charge des boues sera aussi augmentée lorsque la station reçoit les effluents d'industries agroalimentaires (abattoirs, laiteries, équarissages...) ou d'établissements de soins (hopitaux, laboratoires...).
L'évaluation du danger potentiel de l'épandage agricole des boues est difficile
- d'une part parce que ces agents pathogènes sont très variés, souvent difficiles à identifier et à dénombrer dans ce milieu très particulier que représentent les boues de STEP
- d'autre part parce que le risque que leur présence soit source d'une infection chez l'individu qui y sera exposé est très complexe à évaluer. En effet, s'il est possible de définir une dose minimale infectante (DMI) pour l'homme ou l'animal , il est beaucoup plus hazardeux d'estimer le niveau réel auquel ceux-ci seront exposés, lors de la manipulation des boues ou après contamination de leur alimentation. De plus, la viabilité et la virulence des agents pathogènes peuvent être sensiblement altérées par les conditions de traitement des boues.
Pour empêcher le risque de transmission de maladies infectieuses par l'usage des boues de STEP en agriculture, on dispose donc de 2 moyens :
1°) L'intervention sur les pratiques et les conditions d'épandage, telle que :
- interdiction sur production maraîchère et fruitière consommées à l'état de cru
- respect d'un délai avant la mise en culture ou la mise à l'herbe,
- enfouissement pour prévenir les risques liés au ruissellement...
2°) L'hygiénisation des boues, c'est à dire le traitement permettant de "réduire à un niveau non détectable les agents pathogènes présents".
Cette hygiénisation peut se faire par action de la chaux (chaulage), par séchage ou compostage thermique.
2. Les contaminants chimiques
Les principaux polluants à surveiller en priorité sont les métaux dits "lourds", ainsi que certaines familles de molécules organiques peu biodégradables.
D'où viennent ces contaminants?
Les métaux lourds ou éléments traces métalliques (ETM): cuivre, zinc, plomb, cadmium, chrome, nickel, mercure, auquel il faut adjoindre un métalloïde le sélénium, proviennent en particulier
- des déchets du métabolisme, car plusieurs sont des oligo-éléments indispensables à l'organisme (Cu, Zn, Se)
- de diverses activités artisanales ou industrielles
- de pigments et peintures
- de produits de nettoyage
- de produits phytosanitaires...
Une partie est liée également au ruissellement de l'eau sur les toitures, gouttières et voies de circulation lorsque les réseaux sont unitaires.
La présence des composés organiques est la conséquence de l'emploi des dérivés du pétrole, des solvants, des détergents, des produits phytosanitaires, des produits de bricolage...
Deux familles sont principalement en cause
- les hydrocarbures polycycliques aromatiques (HPA)
- les polychlorobiphényls (PCB) et dioxines
Quels sont les risques?
Le danger pour l'homme et les animaux de l'apport de ces contaminants au sol est fonction
- de la capacité d'absorption des végétaux, qui conditionne la contamination de la chaîne alimentaire
- de la potentialité toxique susceptible de s'exercer chez le consommateur.
Risques liés aux métaux lourds
* L'absorption racinaire dépend de plusieurs facteurs
- l'élément lui-même
Cuivre, zinc, sélénium, cadmium et nickel sont mieux absorbés que plomb, chrome et mercure.
- sa spéciation
C'est à dire la forme chimique sous laquelle il est présent dans le sol. Certains sels métalliques comme par exemple les sulfures, correspondent à une immobilisation de l'élément qui ne sera pas absorbé par les racines; d'autres sels sont au contraire bien hydrosolubles et davantage biodisponibles pour la plante.
La spéciation dépend du type de traitement qu'a subi la boue, ainsi que des caractéristiques du sol : teneur en matière organique, pH, potentiel rédox ... Ainsi, l'acidité augmente en général la biodisponibilité du métal.
- la présence des autres métaux
II existe des interactions et des phénomènes de compétition entre les métaux qui limitent leur absorption. Le zinc par exemple diminue le passage du cadmium dans la plante. En revanche la carence en fer l'augmente.
- l'espèce végétale
On observe ainsi des différences notables dans la concentration en cadmium de différentes espèces de légumes cultivés sur un même sol
* La potentialité toxique est très variable selon les éléments.
L'épandage agricole de boues de STEP de peut représenter un risque d'intoxication aiguë pour l'homme ou les animaux car les concentrations atteintes dans les légumes, lesfourrages ou les céréales sont trop basses pour conduire à des doses toxiques.
La question essentielle est l'évaluation du risque à long terme, car ces métaux sont des éléments cumulatifs, c'est à dire qu'ils sont très peu éliminés de l'organisme et que leur concentration corporelle croît au fur et à mesure de la consommation. Ce phénomène est particulièrement vrai pour le cadmium, le plomb et le mercure qui sont les 3 éléments les plus dangereux.
Le consommateur est exposé par l'intermédiaire des denrées végétales qui ont fait l'objet de ce mode de fertilisation, mais aussi par les denrées (lait, viande, oeufs...) qui proviennet des animaux qui auraient eux-mêmes consommé des fourrages cultivés sur des terres ayant reçu des boues de STEP. De plus, les animaux peuvent absorber ces métaux, non seulement par leurs aliments, mais aussi par la consommation directe de terre, qui n'est pas négligeable.
Les ETM s'accumulent dans les abats qui sont les denrées animales à surveiller en priorité. La viande elle-même concentre très peu ces éléments (à l'exception du chrome). Mais certains peuvent être également éliminés par le lait, le beurre et les oeufs. (Pb, Cd par exemple).
Risques liés aux composés organiques
Les HPA, PCB et dioxines sont des molécules très stables, qui sont peu dégradées par les processus d'épuration de l'eau.
Le risque d'accumulation dans la chaîne alimentaire après épandage des boues est moindre que dans le cas des ETM
- d'une part, en raison des capacités de dégradation du sol
- d'autre part, parce que ces molécules sont très peu hydrosolubles et sont donc très peu absorbées par les racines.
Comme les métaux , ils possèdent un caractère cumulatif, car ils sont éliminés très lentement de l'organisme qui les a consommés.
On redoute de leur part
- un effet inducteur enzymatique, c'est à dire des perturbations des capacités métaboliques du foie
- un effet cancérogène et pour certains embryotoxique.
On peut également retrouver dans les boues une partie des médicaments éliminés avec les eaux usées, et qui n'ont pas eu le temps d'être dégradés ou qui n'ont pas été rejetés dans le cours d'eau récepteur. Leur devenir et leurs impacts sont encore très mal connus.
Comment prévenir le danger?
* pour la santé de l'homme et des animaux domestiques
Quel que soit l'effet redouté, la toxicité d'une substance chimique dépend de la dose ingérée, et donc de la concentration dans le vecteur alimentaire. C'est pourquoi la prévention des risques repose d'abord sur la fixation de valeurs maximales à ne pas dépasser dans les boues, afin de garantir l'innocuité des denrées végétales et donc des denrées animales.
Les valeurs fixées par l'arrêté du 8 janvier 1998 sont pour les métaux, extrêmement variables : entre 10 et 3000 ppm/MS selon les éléments. Ces écarts sont liés à la fois aux différences de capacité d'absorption du métal par la plante et de potentialité toxique pour le consommateur.
Pour les composés organiques, les teneurs autorisées sont beaucoup plus faibles et plus homogènes : de 0,8 à 5 ppm/MS pour les 10 paramètres retenus.
Mais compte-tenu du caractère cumulatif de ces polluants dans le sol, il faut évaluer le risque de transfert au végétal non seulement après un épandage ponctuel, mais aussi lors d'application répétée. C'est pourquoi l'arrêté a fixé également des valeurs pour le flux maximal cumulé sur 10 ans pour chaque contaminant.
Pour une évaluation satisfaisante des risques, la fixation de valeurs maximales dans les boues et leur analyse régulière et systématique devraient encore être accompagnées d'études permettant une surveillance sur le terrain après application.
En matière de santé animale, une Cellule de Veille Sanitaire vétérinaire des épandages de boues d'épuration urbaines a été mise en place pendant une dizaine d'années grâce à la collaboration de l'ADEME et des "Centres AntiPoison animal" présents dans les 4 Etablissement d'enseignement Vétérinaires. Cette cellule de veille a eu pour objet de collecter et d'instruire toutes les suspicions d'effet néfastes sur la santé animale liées à la valorisation des boues d'épuration. Elle a reçu les observations de terrain de la part de tout public (vétérinaires, éleveurs, organismes professionnels agricoles, Services Vétérinaires, ...), et conduit l'analyse de ces cas. La Cellule a ainsi contribue à la protection de la santé animale et fait avancer les connaissances en matière de risques liés à l'épandage des boues sur les prairies et les cultures fourragères. Au bilan, on peut considérer que l'épandage sur les terres agricoles des boues d'épuration, lorsqu'il est réalisé dans les conditions réglementaires, ne présente pas de risques pour la santé des animaux domestiques.
* pour l'environnement et le milieu naturel
Les risques de contamination de la chaîne alimentaire ne sont pas les seuls à surveiller. II importe également de veiller au danger de contamination des ressources en eau. Ce risque concerne surtout les eaux superficielles exposées au ruissellement et à l'apport de particules par érosion, mais éventuellement aussi les eaux souterraines, pouvant être contaminées par lessivage d'un sol riche en éléments métalliques partiellement sous forme soluble.
La prévention de ce danger repose en grande partie sur le respect du Code des Bonnes Pratiques Agricoles préconisées dans le cadre de l'épandage de déjections animales.
Les effets potentiels sur "l'écosystème sol" ont fait l'objet de tests de laboratoire qui montrent l'absence d'effet toxique sur certaines espèces témoins telles que les ver de terre. Cependant cet aspect mériterait de faire l'objet de recherches plus approfondies, en particulier concernant la microflore et la microfaune du sol, car les données sont encore très succinctes. Un effet toxique des micro-polluants sur les écosystèmes du sol exposerait à des perturbations dans le recyclage des éléments et à une baisse de fertilité.
La valorisation agricole des boues de station d'épuration dans le strict respect des conditions réglementaires, représente une solution intéressante en matière de fertilisation et de recyclage des déchets. il est souhaitable cependant qu'elle soit accompagnée d'études complémentaires sur le terrain, afin de vérifier d'une part que les valeurs maximales fixées garantissent effectivement la sécurité alimentaire, d'autre part que l'épandage n'a pas impact négatif sur la fertilité des sols.